Après Paris, les îles…

La Seine depuis le pont de Chatou. À g., l’île des Impressionnistes, à dr., Chatou, au fond, le pont-rail de Chatou.

Sur la Seine en aval de Paris disparaissent ou perdurent les noms des îles pour la plupart inconnues des touristes. Ces îles ont toutes une histoire, des histoires, perdues dans les méandres du temps, qui se mêlent avec l’histoire de France et des arts. Entre l’île de la Commune, face à Maisons-Laffitte (Yvelines), et l’extrémité de l’Île Fleurie, face à Nanterre (Hauts-de-Seine), c’est toute une boucle du fleuve où peintres, architectes, personnages célèbres, ingénieurs, écrivains, aventuriers et petit peuple se sont mêlés, dans cette lumière unique qui rend l’Île-de-France si belle. À l’heure du Grand Paris, lorsque l’urbanisation s’étend bien au-delà des anciennes limites de la ville tentaculaire, il était temps de faire un petit tour de Seine et d’aller voir les îles…

Le pont-rail, au-dessus de la Petite rivière, petit bras de Seine qui longe l’île de la Commune.

Certains prétendent que la banlieue de Paris n’a pas d’histoire. Quelle erreur ! La plupart du temps, les rouages de l’histoire ont commencé à y tourner, comme un film se déroule. Des origines de Lutèce aux impressionnistes, la Seine a joué un rôle primordial. Nous sommes proches de Paris et prenons le frais sur le pont d’un bateau virtuel. Depuis le confluent avec l’Oise, la lumière est belle, très douce, dorée par endroits. Elle offre aux paysages un écrin unique.

Les peintres du début du siècle dernier ne s’y sont pas trompés : la Seine n’est pas qu’un cours d’eau, ce sont ses reflets, les miroitements de ses eaux qui habillent arbres, champs, bateaux, maisons, églises, jouent avec l’air ambiant et donnent naissance aux couleurs de l’Île-de-France, si spéciales, si légères. Les îles se succèdent, formées par les alluvions des coudes d’un fleuve devenu un peu fou, qui joue de l’accordéon aux abords de Paris. Depuis l’eau, on voit surtout des arbres, qui masquent les villes de banlieue, gomment le béton, et laissent la place aux personnages d’antan.

Les îles de la Commune et de la Borde ne font qu’une

En remontant le courant vers la capitale, la première des îles que l’on croise dans la périphérie de la petite couronne n’est pas très grande, et son histoire n’a jamais inspiré les écrivains. C’est l’île de la Commune (pointe aval au PK 58,3), soudée maintenant à l’île de la Borde, entre Maisons-Laffitte (rive gauche) et Sartrouville (rive droite). Elle nous accueille par 2 piles d’un pont aujourd’hui démoli, porte d’un petit paradis de paix et de verdure. La lumière y est très douce, comme souvent en Île-de-France.

Entrée de la Petite rivière, entre Maisons Laffitte et l’île de la Commune.

Peu de bruit ici, si ce n’est, les jours de congé, les cris des enfants heureux de jouer en pleine nature. On accède par une passerelle à cette île dédiée aux sports de toutes natures. On y trouve également un immense camping. Dans l’Île de la Borde, reliée à la berge par un pont minuscule, un hôtel de vacances pour chiens et chats est installé là, depuis plus de 30 ans, au milieu des arbres et des fleurs. Tout le site est verdoyant et tranquille, et la nature, magnifique, regorge de centaines d’essences, été comme hiver. Dans le paisible bras de la Petite rivière, on trouve brèmes, chevaines, gardons, goujons, carpes, perches et silures, comme l’expliquent quelques panneaux sur la berge, dispensés par la mairie. On ne peut pas aborder, et le bras n’est pas navigable, sauf pour les barques et avirons.

Les fantômes de l’île Corbière

Dans l’île de la Borde.

En longeant Carrières-sous-Bois et Montesson, on arrive à la petite île Corbière (en amont du PK 53), entre les 2 rives de la ville du Pecq, sous la terrasse du sublime château de St-Germain-en-Laye. C’est la seule île déserte de notre voyage. Sur les cartes anciennes, on distingue 2 autres Îles un peu en amont : l’Île des Dames, maintenant reliée à la terre ferme, et un autre îlot aujourd’hui disparu. Montant ou avalant, Corbière se contourne en la laissant sur bâbord. La nature y est reine. Il n’en a pas toujours été ainsi : le petit bourg d’Aupec, sur la rive en face, apparaît dans l’histoire en 704, et devient rapidement un port où les commerçants débarquent leurs marchandises et les chargent sur des chariots, pour éviter les nombreux péages en amont sur la rivière. Le port d’Aupec gagne en importance au fil des ans et fait vivre toute une population batelière, de métiers de pont et d’activité de transport. Un service de galiotes ou coches d’eau relie Paris à Aupec depuis le milieu du XVIe siècle, et perdure jusqu’au début du XIXe, remplacé alors par des bateaux à vapeur.

Au XVIIe siècle, la nef royale de Louis XIV utilise souvent le port pour rejoindre le château de Versailles, et les besoins de la cour font grossir le bourg. Le port “au Pecq” s’est transformé en port “du Pecq”, Aupec est devenu Le Pecq, et le rail a rejoint le bateau : en 1837, la 1re ligne de chemin de fer française réservée aux voyageurs relie la gare St-Lazare de Paris à la gare du Pecq en 28 min. Les Parisiens peuvent désormais goûter rapidement aux plaisirs de l’eau, et ils ne s’en privent pas. Certains emportent leurs pinceaux…

Moins d’un siècle plus tard, les berges du Pecq vrombissent des moteurs des hydravions : le 24 août 1913, une foule de spectateurs vient assister, devant l’île Corbière, au départ des petites libellules fragiles des concurrents de la course Paris-Deauville en hydro-aéroplane ! Une autre époque… Une plage-piscine est aménagée sur l’île, avec le succès que l’on imagine, et un bar dancing ouvre ses portes de 1934 à 1962. Puis la guerre arrive, et les plaisirs s’arrêtent. L’île Corbière, réserve ornithologique seulement peuplée d’arbres, est classée monument naturel depuis 1938. Aujourd’hui, on n’y entend plus que le R.E.R. qui traverse les arbres, sporadiquement…

Une machine a modifié le cours de la Seine

En amont du PK 51, c’est l’île de la Loge qui s’annonce maintenant. Pour alimenter en eau le château de Versailles et les bassins des jardins, Colbert, le ministre de Louis XIV, fait relier par des digues toutes les îles en amont de l’île de la Loge, de Port-Marly à Bezons. Ce nouveau bras de Seine-celui de Marly-détourne une partie du courant, qui sera accéléré par un rétrécissement, provoquant une chute artificielle pour qu’il arrive plus puissant à la sortie du coude formé devant Bougival. Le courant doit posséder la force nécessaire pour faire tourner 14 énormes roues à aubes et actionner les pompes d’une formidable machine (la machine de Marly), qui fait monter l’eau jusqu’à Versailles. Ce prodige pour le XVIIe siècle, construit dans les années 1680 par le maître-charpentier et mécanicien liégeois Rennequin Sualem, va fonctionner 133 ans. Jugée trop bruyante, d’un débit insufisant, détériorée et onéreuse, la machine sera détruite en 1817.

La machine de Marly par Pierre-Denis Martin, 1723.
Les bateaux-logements du bras de Marly.

Après une succession de diverses machines, c’est aujourd’hui un groupe d’électropompes qui a pris le relais. À bord d’un bateau de plaisance, l’île de la Loge se contourne par le bras de la Rivière neuve, sinon nous filerions droit sur le barrage. Cette portion du bras de Marly est dédiée au canotage ou à l’aviron. On découvre beaucoup de vert sur l’aval de l’île : c’est le parc de l’île de la Loge, suivi de terrains de football et de courts de tennis, puis des bâtiments de la communauté Emmaüs, un endroit un peu magique où l’on trouve vieux meubles, vaisselle et beaucoup d’autres trésors à des prix dérisoires. Au niveau du bras de Marly, une passerelle piétonne permet de passer de la rive gauche, peuplée de bateaux-logements, jusqu’à l’île, à la hauteur des courts de tennis.

On arrive après ceux-ci à une zone résidentielle, où de grandes et belles maisons ceinturées de jardins arborés occupent l’espace jusqu’au pont Abbé-Pierre, sous lequel se trouve le barrage de Bougival. Toute la zone en amont jusqu’aux écluses est interdite à la navigation. En arrivant au pont Abbé-Pierre, sur la gauche, on aperçoit derrière les arbres une tour ronde crénelée et une tourelle élégante au toit pointu. Ces dernières appartiennent à l’un des bâtiments restants de la Jersey Farm, créée en 1884. Cette ferme modèle accueillait des vaches directement venues de l’île de Jersey, traitées royalement (elles ne buvaient pas l’eau de la Seine, jugée trop polluée) et traites électriquement. Les étables étaient recouvertes de faïence bleue et de sable fin au sol. On y fabriquait le lait le plus cher de Paris, vendu porte Maillot et servi au Ritz, entre autres. L’activité perdura jusqu’à la crue de 1910, précise l’office de tourisme de Bougival. De l’autre côté du pont, sur la rive, s’élève une sorte de temple antique au fronton néoclassique sculpté. Il abritait une machine à vapeur, l’une de celles qui ont remplacé la machine décrite précédemment .

Le bâtiment de la machine à vapeur qui a succédé à la machine de Marly originelle.

On peut encore voir les gros tuyaux noirs qui grimpent à l’assaut de la colline, derrière le bâtiment. On atteint ensuite les écluses de Bougival, par lesquelles il faut passer si l’on veut profiter du bras de Marly, de son calme et de son paysage. Sur la berge de l’île de la Loge, tout à côté de la porte amont de l’écluse, une petite maison ancienne, en briques et crépi brun, possède le charme désuet des pavillons du siècle d’avant. C’était autrefois les bureaux de déclaration, où les mariniers laissaient la trace de leur passage. Juste au-dessous du niveau de la porte d’entrée, une petite plaque bleuie et presque effacée indique la terrible crue de 1910, pour qu’à jamais on se souvienne de la montée des eaux. Le petit édifice solitaire en briques roses au milieu de la Seine est tout ce qu’il reste de ce qui fut l’une des évolutions de la formidable machine de Marly. Il servait à entreposer les aiguilles en bois du barrage de la machine.

Un établissement de bains mondialement connu

Nous longeons maintenant l’île de la Chaussée, la plus scandaleuse, la plus excitante aussi, peut-être… Une halte fluviale a été aménagée au PK 48, avec eau et électricité. Primitivement nommée île de Croissy, du nom de la commune qui lui fait face, en rive droite, elle fut surtout, pendant toute la fin du XIXe siècle et jusqu’en 1930, nommée l’île de la Grenouillère, du nom d’un établissement de bains immortalisé par Claude Monet et Pierre-Auguste Renoir, où l’on croisait aussi Sisley et Pissarro. Elle était la propriété, fin XVIIIe siècle, de Jean Chanorier, ami de Joséphine de Beauharnais et agronome, qui y avait fait planter un grand nombre d’arbres exotiques. À sa mort, l’île devient propriété du marquis d’Aligre, qui la laisse progressivement à l’abandon. Les plantations redeviennent sauvages et l’île se transforme en jungle luxuriante, surnommée le Madagascar de la Seine. Cet endroit de rêve pour imaginations fertiles est (re)découvert un beau jour de 1838 par Eugène Labiche, Auguste Lefranc et Marc-Michel. Les jeunes auteurs y abordent en quête d’aventure littéraire. Envoutés par l’endroit, ils en parlent à leurs amis, et bientôt c’est toute une jeunesse intellectuelle parisienne – auteurs, hommes de théâtre, peintres romantiques et paysagistes – qui débarque dans l’île. Elle devient rapidement un lieu pittoresque la mode dans l’ouest parisien. Dans les années 1840, les jeunes gens s’y baignent nus en été et scandalisent les habitants des berges.

Anciens bureaux de déclaration (écluses de Bougival).
L’ancien poste de commande (écluses de Bougival).

En 1852, Félicité Alexandrine Seurin, née Trumeau, dite Félicie, “cabaretière” à Croissy, installe des tentes, qui seront complétées par des cabines de bain, et une buvette sur la digue entre les îles de Croissy et de Chatou, tandis que son mari fait le passeur. C’est “La Grenouillère”. Le succès ne tarde pas, et Félicie agrandit l’établissement, fait construire un ponton et des bains chauds, une grande tente avec tables et chaises, ainsi qu’un kiosque où l’on vend des plats préparés, des boissons, où l’on loue maillots et serviettes de bain. Une foule parisienne se précipite, si bien que Félicie amarre, autour de l’année 1860, deux barges dans le bras de Marly, la première avec des cabines, et l’autre un grand restaurant. La clientèle laisse à désirer, mais le succès est indéniable. Maupassant, habitué des lieux et du canotage, les décrit ainsi : « L’immense radeau, couvert d’un toit goudronné que supportent des colonnes de bois, est relié à l’île charmante de Croissy par deux passerelles dont l’une pénètre au milieu de cet établissement aquatique, tandis que l’autre en fait communiquer l’extrémité avec un îlot minuscule planté d’un arbre et surnommé le “Pot-à-Fleurs”, et, de là, gagne la terre auprès du bureau des bains. […] Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. les et femelles s’y valent.

Il y flotte une odeur d’amour, et l’on s’y bat pour un oui ou pour un non […]. » En 1869, Napoléon III et l’impératrice s’y arrêtent, et Renoir et Monet peignent le Pot-à-Fleurs, qui ressemble à un “camembert” avec un arbre au milieu. C’est le surnom qu’il conservera. En octobre 1889, La Grenouillère est détruite par un incendie, et remplacée l’année suivante par un pavillon de l’Exposition universelle de 1889, acquis par le nouveau propriétaire Louis Saintard. Mais l’ambiance n’y est plus. Apollinaire s’en attriste comme l’illustre un poème publié en 1913 : Au bord de l’île on voit/ Les canots vides qui s’entre-cognent,/ Et maintenant/ Ni le dimanche, ni les jours de la semaine,/ Ni les peintres ni Mau-passant ne se promènent/ Bras nus sur leurs canots avec des femmes à grosses poitrines/ Et bêtes comme chou./ Petits bateaux vous me faites bien de la peine/ Au bord de l’île. Nous avons retrouvé le Pot-à-Fleurs, ou du moins un camembert sosie, à la pointe amont de l’île : plus d’un siècle après, l’îlot fait maintenant partie de la terre et un arbre en est toujours le pivot central.

Ce petit édifice servait d’entrepôt aux aiguilles de l’ancien barrage associé à l’une des machines de Marly.
La Grenouillère par Claude Monet, 1869.

La végétation a repris ses droits, et plus une trace de La Grenouillère. L’extrémité de l’île n’est pas véritablement visible depuis le fleuve. Elle se confond avec la digue, cachée par les arbres. En revanche, lorsqu’on marche sur ce petit sentier étroit qui chemine le long de la digue dans un beau fouillis végétal, on ne peut s’empêcher de songer aux f²tes turbulentes de la fin du XIXe siècle. La lumière éclate les feuillages, épouse et éclabousse la moindre vaguelette sur les bords. Les couleurs n’ont pas changé. Seuls les hommes ne sont plus là.

La fine fleur des impressionnistes à la Maison Fournaise

On débouche sur le parc de l’île des Impressionnistes (anciennement île du Chiard), ses grandes pelouses, son parcours sportif, ses aires de jeux pour enfants et son poney-club. Plus loin, avant le pont de Chatou, un grand espace est dédié aux concerts, aux cirques Joseph Bouglione et Arlette Gruss, des habitués, et à la célèbre et très extraordinaire foire nationale à la brocante et aux jambons, qui date du Moyen Âge. ll suffit de passer de l’autre côté du pont pour effectuer une autre plongée, plus calme celle-là, dans un XIXe siècle finissant. Voici le hameau Fournaise qui abrite la Maison Fournaise, du nom de ses créateurs, le musée Fournaise et sa collection de tableaux et de documents sur le canotage et la vie des bords de Seine à l’époque, la Maison Levanneur et la gare d’eau sous laquelle l’association Sequana a élu domicile. La Maison Fournaise est mondialement connue grâce aux tableaux de Pierre-Auguste Renoir, mais le fameux balcon est aussi fréquenté par la fine fleur des impressionnistes : Monet, Manet, Sisley, Pissaro, Berthe Morisot, Degas, intime de la jolie Alponsine, la fille des Fournaise, ainsi que Caillebotte qui navigue dans le bras de Marly devant le restaurant, face à ce qui est maintenant devenu Rueil-sur-Seine, un quartier neuf de Rueil-Malmaison avec sa halte fluviale, un point de vue unique sur l’île en face.

Le Pot-à-Fleurs de La Grenoullère.
La rive de Rueil, telle que pouvaient probablement la voir les noceurs de la Grénoullère.

Alphonse Fournaise, charpentier, construit des bateaux, et Louise tient le restaurant vers 1860. Le fils, également prénommé Alphonse, loue et entretient les bateaux, et aide les dames à embarquer. Alphonsine sert de modèle à tous, séduits par sa grâce et sa beauté, Maupassant vient pratiquer un “canotage nonchalant”, les yoles vernies le disputent aux voiles des monotypes de Chatou, Flaubert et François Coppée y déjeunent, et les clients décorent les murs. Derain et Vlaminc, spécialistes des couleurs vives, installent en voisins leur atelier dans la Maison Levanneur. Ils créent le fauvisme, et reçoivent les visites de Matisse et d’Apollinaire, tandis que sous le pont de Chatou coule la Seine… Le restaurant est actuellement en rénovation, mais devrait rouvrir en été 2021. En face, sous la terrasse du restaurant de la gare d’eau, l’atelier de Sequana continue de restaurer avec talent les merveilleuses yoles de l’époque, pour faire revivre cette ambiance si charmante, ces personnages si attachants des tableaux d’Auguste Renoir : nos arrière-grands-parents. Que ces demoiselles étaient jolies…

Après le rhinocéros, l’histoire frôle la légende…

En poursuivant, dans l’île de Chatou, on dépasse un centre de recherche et développement E.D.F., face, sur le bras de la rivière Neuve, à l’écluse de Chatou, et un peu plus loin, on se retrouve nez à nez avec… un rhinocéros grandeur nature à l’entrée du Golf de l’île Fleurie. Le nom de l’île (également nommée île de Monthory, île de la Morue, île St-Martin, île aux Anglais), comme pour la Grenouillère, provient de celui du restaurant “À l’île Fleurie” d’Ernest Lemaire et son épouse, Adèle Étourneau. Une affaire acquise en 1885 que le couple a fait prospérer. L’ancien apprenti charpentier d’Alphonse Fournaise fera également édifier un hangar pour exploiter cet endroit yoles et canots (et les louer aux Parisiens en mal d’aventures fluviales, avec le succès que l’on devine), ainsi que des ateliers.

La Maison Fournaise et son fameux balcon.
La Maison Fournaise et son fameux balcon.

Adèle, cuisinière, prépare les matelotes et les fritures, plats favoris des canotiers. On y voit défiler Maupassant, Gaille-botte, Renoir, Monet, et Mistinguett. Les murs étaient décorés de fresques de Joseph Faverot, le décorateur des cabarets montmartrois. Ils sont main-tenant tombés en ruine, mais on a conservé le souvenir des heures heureuses en gardant le nom donné l’Île. Ce dont les habitués de l’Île Fleurie n’étaient peut-être pas conscients, c’est que nous sommes là ou plus exactement en face de là où tout a commencé pour Paris. Il semble bien que Nan-terre, nommée l’époque Nemeto-Dor (ou Nemetodurum), de nemeton (sanctuaire) et dor (porte, forum, marché, citadelle, en gaulois), était la capitale des Parisii, l’une des tribus de la région.

La ville était bâtie sur la rive gauche de la Seine, autour d’un port asse florissant, et protégée par un oppidum sur la colline : aujourd’hui le mont Valérien. Il semblerait qu’une grande partie de la population de la ville ait migré vers Lutèce, futur Paris, une boucle plus loin, à la fin du 1er siècle av. J.C., après le siège historique de Paris et la bataille entre Labienus, lieutenant de César, et Camulogène, chef des armées gauloises, ainsi que l’établissement de la Lutèce romaine. Nous sommes maintenant presque au bout de notre 1er voyage dans les îles de la banlieue parisienne. Il nous reste évoquer l’Île Marante et l’Île du Moulin-Joly, séparées autrefois, et réunies au XIXe à la berge de Colombes. Là où l’on vit Élisabet Vigée Le Brun, Turgot, Diderot, Condorcet, Louis et Marie-Antoinette se promener dans un parc délicieusement romantique est devenu un parc départemental le long de la Seine, où les joggeurs ont depuis longtemps oublié les personnages illustres qui ont foulé le même sol 250 ans auparavant…

L’atelier de l’association Sequana.

Après Paris, les îles…

Quai de la Marine (à g.) depuis le pont de l’Île-St-Denis. On aperçoit l’entrée du canal St-Denis sur la droite de l’image.

En remontant les dernières boucles de la Seine aval avant Paris, on croise bon nombre d’îles dont l’histoire et les histoires restent le plus souvent inconnues de tout un chacun. Lorsque ces îles n’existent plus, les fantômes surgissent et nous entraînent à la façon du Hollandais volant ou du Mary Celeste. Nous avons parcouru le fleuve depuis l’Île de la Commune, face à Maisons-Laffitte (Yvelines), jusqu’aux souvenirs de l’île Marante et de l’île du Moulin-Joly. Nous continuons maintenant notre voyage vers l’île St-Denis, entre 2 berges feuillues. Cependant, plus nous avançons, plus Paris se fait présent, avec des immeubles sur les berges, des house-boats et des Freycinet aménagés le long de ces mêmes rives, et, sur le fleuve, un trafic incessant de bateaux de commerce remplis de matériaux les plus divers…

Nous avons laissé Colombes (Hauts-de-Seine) à droite et Argenteuil (Val-d’Oise) à gauche, là où, disparues dans les vagues du temps, les îles Marante et du Moulin-Joly emportaient avec elles le souvenir des dames romantiques, laissant la Seine respirer un peu. Le fleuve ouvre maintenant ses flots larges au grands bateau de commerce chargés de sable et de gravillons, en acceptant que les eau soient parfois aussi fendues pour un temps par de petits hors-bords dans lesquels, l’été, des demoiselles en maillot de bain sourient au soleil. Nous sommes presque sous le pont d’Argenteuil, que peignaient Monet, Sisley ou Caillebotte. Ils avaient raison : le ciel de l’Île-de-France réserve à ceux qui le cérissent des couleurs uniques et surtout une lumière dorée qui rend les peintres amoureux de la Seine.

Les rives d’Argenteuil.
Pont d’Argenteuil, suivi du pont-rail d’Argenteuil.

Le paysage a bien changé : face à Argenteuil, la petite île Héloïse a disparu, car, sur la rive droite, le bras mort du fleuve qui la séparait des berges s’est retrouvé comblé au début du XIXe avec les pierres de l’ancienne enceinte médiévale. Sur l’autre rive, voici l’entrée des quais immenses et gris des darses du port de Genne-villiers (Hauts-de-Seine). On rentre ici dans le domaine de l’industriel : plus de 400 ha dédiés aux marchandises ! Nous continuons notre remontée du fleuve sous le viaduc de l’autoroute A15, sur lequel les ombres-silouettes des voitures se poursuivent comme sur l’écran d’une lanterne magique.

A quelques encablures se profile la pointe de l’île St-Denis, oblongue langue de terre courbe de quelque 7 km, formée par la réunion au XIXe siècle de l’Île St-Denis, de l’Île du Châtelier (au haut Moyen Âge, une forteresse redoutable y a été construite pour empêcher les Normands de remonter jusqu’à Paris), de l’île des Vannes, face à St-Ouen (Seine- St-Denis), et de l’île du Javeau. Cette île est presque un continent. Elle sépare les flots en deux, comme Moïse il a longtemps, et oblige les capitaines à choisir. En suivant la rive droite, sur le bâbord de notre vaisseau virtuel remontant, c’est le “grand bras” par lequel on accède au canal St-Denis, qui conduit au bassin de La Villette. Pour ceux qui aiment les bateau, l’autre côté, le « bras de Gennevilliers”, est plus attractif : une succession de bateau-logements longe la rive gauche presque jusqu’au bout de l’île.

L’île des hommes à hublots

Cette île immense est une commune à elle seule, distincte de la ville de St-Denis. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’île Saint-Denis abritait toute une population de pêcheurs, de blanchisseurs, de mariniers, ainsi qu’une communauté de scaphan-driers qui posait les câbles et les canalisations dans la Seine. C’est pourquoi on donna à l’île le surnom d’île des hommes à hublots. Plus facile à retenir que le nom véritable de ses habitants : les lodionsiens ! À la pointe aval de l’île, une petite réserve naturelle accueille les oiseau migrateurs, mais pas vraiment les visiteurs.

Entrée du port de Gennevilliers.
Les ombres des voitures sur le viaduc de l’A 15

Une sorte de chemin parcourt l’endroit, semblable à ce qu’il devait être dans les siècles passés : misérable. Après le pont-rail d’Épinay, la civilisation apparaît, mais pas dans ses aspects les plus riants. Ce n’est qu’après le pont d’Épinay que le parc départemental de L’Île-St-Denis propose un espace de verdure arboré et fleuri, où les oiseau accompagnent le promeneur. On y croise de multiples espèces, du rouge-gorge au cormoran sur les berges, en passant par les mésanges, les corneilles, les ramiers, les pies, mais aussi un oiseau vert magnifique qui a fait son apparition depuis quelques années : la perruche à collier, venue tout droit par avion du sud-est asiatique, qui s’est très bien (trop bien) acclimatée en France et en Europe.

Les kilomètres d’allées de ce parc sont un régal, et même les enfants trouvent leur compte dans les aires de jeu diverses et variées. Une « promenade des impressionnistes” à suivre d’un pas nonchalant évoque le long de la berge la mémoire de ces derniers, qui hantaient volontiers les lieu le chevalet à la main à la fin XIXe siècle. De grands cadres de bois disséminés çà et là permettaient il y a quelque temps encore d’encadrer des visions bucoliques chères à ces peintres, et de créer ainsi des tableau virtuels propices à une sensibilisation à l’art et aussi à la nature. Mais hélas, le bois de ces tableau imaginaires s’est dégradé avec le temps, et ils ont été enlevés. Dommage.

L’île St-Denis et l’île du Châtelier en 1707 (Charles Inselin, graveur).
Le parc départemental de L’Île-St-Denis

Il faut avouer que le décor enchanteur du parc tranche quelque peu avec celui des berges de la rive gauche, envahies par la zone industrielle du Val-de-Seine d’abord, puis par les épaves rouillées des cimetières à bateau et les cantiers navals de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Ce n’est qu’après le parc que la ville commence vraiment. Il faut dire que jusqu’il n’y a pas si longtemps, l’île St-Denis n’était pas très reluisante : elle faisait partie de ce que l’on nommait pudiquement “les banlieues pauvres”. Terrains vagues, petits jardinets maraîchers, quelques guinguettes plus ou moins sordides, la campagne de l’île semblait rongée par la misère.

L’église des pêcheurs et des bateliers

Vivre sur une île ne facilite pas l’assiduité à la messe le dimanche, surtout lorsque l’église se trouve de l’autre côté de l’eau et qu’il n’a que les passeurs pour vous y emmener. C’est encore plus compliqué lors des obsèques d’un habitant. Curieusement, il faudra attendre 1620 pour que les habitants puissent construire une chapelle sur l’Île, annexée à la paroisse St-Marcel de la ville de St- Denis (Seine-St-Denis). Cette chapelle ne devint officiellement paroisse St-Sébastien à part entière qu’en 1668. Elle permettra au lodionsiens, après travaux et aménagements, de s’y réfugier pendant les crues. Avec l’augmentation de la population, il sera nécessaire de la reconstruire entièrement. Elle sera inaugurée en septembre 1832. Cependant la population augmentant considérablement pendant le XIXe siècle, elle reste toujours trop petite. On la reconstruit donc encore, et la nouvelle église St-Pierre (patron des marins pêcheurs) ouvre ses portes en septembre 1884. Sur le tympan du fronton, une sculpture représente Jésus en pêcheur d’hommes. À l’intérieur, les fonts baptismaux en bronze se présentent sous la forme d’une étrave de bateau, et on y trouve un ex-voto offert par un batelier belge.

L’église St-Pierre.

Un quai interminable

Cimetière à bateaux à Villeneuve-la-Garenne.

De par sa situation à proimité de Paris, l’île est idéale pour entreposer des marchandises. Le commerce va peu à peu remplacer les cultures, sur les bords de Seine les usines s’installent, car elles sont plus faciles à approvisionner, et la batellerie va devenir l’une des activités principales de l’île. En 1789, dans le cahier de doléances rédigé pour les États généraux, les habitants se plaignent (entre autres) de ne pas être reliés à la rive par un pont. Il leur faudra patienter jusqu’en 1844 pour que le pont suspendu peint plus tard par Alfred Sisley (1872) voit le jour, de chaque côté de l’Île.

lL sera reconstruit au début du XXe siècle, en raison de ses malfaçons. Il se nomme aujourd’hui le pont de l’Île-St-Denis, sur lequel circulent à la fois voitures et tramway. out le long de l’Île, côté rive droite, en aval du pont de l’Île-St-Denis, court le quai de la Marine, bordé de ducs-d’albe où stationnaient à couple des dizaines de chalands au XIXe siècle (ceux-ci ont disparu, et les bateau se trouvent maintenant plutôt de l’autre côté, amarrés au quais de Villeneuve-la- Garenne). Les amateurs d’histoires macabres auront un regard sur la façade gris-rose du n° 2, où l’anarchiste assassin Ravachol loua une chambre peu avant d’être guillotiné en 1892. Parallèle au quai, la rue Arnold-Géraux sépare l’Île en deux par le milieu. On retrouve les vieilles maisons du siècle dernier, en briques le plus souvent.

Le tympan de son fronton.
L’île St-Denis et l’église St-Pierre depuis St-Denis

Celles-ci sont jolies et romantiques, et généralement entourées de verdure, bien rafraîchissante en été. Le long de la berge côté rive gauche, un délicieux chemin ombragé joint le pont de l’Île-St-Denis au parc, en longeant les immeubles. Après le pont, le quai se poursuit par le quai de Seine, puis par le quai Châtelier, qui remémore l’île éponyme aujourd’hui rattachée à l’île St-Denis. Au bout de celui-ci, face à St-Ouen, se détache la silhouette futuriste de la Grande nef de l’Île-des-Vannes, inscrite à l’inventaire complémentaire des monuments historiques, sur un terrain vague autrefois fréquenté par des chiffonniers et des roulottes.

Il s’y élevait, dans un décor tourmenté, les 3 étages de la vieille tour Mahu, construction hexagonale plus ou moins en ruine. Dans ce palais des sports de béton en forme de barque renversée eurent lieu quelques concerts historiques, comme ceux des Pink Floyd en décembre 1972, de Led Zeppelin en avril 1973, de Bruce Springsteen en avril 1981 et celui de Queen en mai 1982. Pourquoi cette grande nef de 98 m de long est-elle le palais des sports de la ville de St-Ouen ? Tout simplement parce que cette municipalité racheta le terrain au chocolats Menier en 1955, dans le projet de créer des espaces verts et des installations sportives. Ce projet naquit en 1959, et le complexe sportif fut inauguré en 1971.

Rue Arnold-Géraux sur l’île St-Denis.

La disparition de l’île Robinson et de l’île des Ravageurs

Le chemin long des berges de l’île St-Denis.

Presque 2 km plus loin en remontant vers le sud, en poursuivant le cours de notre navigation, existaient jusque dans les années 1970 deux Îles jumelles au milieu de la Seine : l’île des Ravageurs (côté Asnières, Hauts-de-Seine) et l’ÎleRobinson côté Clic, Hauts-de-Seine). Elles étaient reliées entre elles et au rives de Clic (rive droite) et Asnières (rive gauche) par un ensemble de 3 ponts, qui furent détruits pendant la guerre de 1870 et le siège de Paris. Trois bras de Seine, donc, les séparaient des rives : le bras de Clichy, le bras central et le bras d’Asnières. L’île Robinson possédait bien sûr quelques arbres, mais surtout de grues et des tas de charbon.

C’était encore la campagne, mais déjà un peu la banlieue de la ville, qui n’avait pas tout à fait absorbé la nature. Reconstruction de l’ouvrage en 1874. Quelques peintres l’immortalisent ainsi que les berges, les quais et les pêcheurs : Van Gogh, Signac ou encore Émile Bernard. On canote autour de l’île et de sa voisine. L’île Robinson disparaît entièrement à la suite des travaux de la construction du nouveau pont routier de Clichy, entre 1973͵ et 1975, qui permet l’etension de la ligne 13 du métro parisien mise en service en 1980. La Seins s’élargit considérablement, jusqu’à environ 170 m. Il faut dire que ces 2 îles freinaient le courant, provoquaient l’envasement du lit et gênaient le trafic fluvial… Pendant longtemps, l’île des Ravageurs fut occupée par des chiffonniers, pionniers du recyclage, qui passaient, en tirant leur carriole dans les rues de la capitale, récupérer vieux tissus (destinés alors à la fabrication du papier), peau de lapin et divers objets de rebut en criant « chi-ffonnier ! » C’est dans cette communauté, à cet endroit même, qu’Eugène Sue
situe “Les mystères de Paris”, dont les personnages
firent les délices des lecteurs du XIXe siècle.

L’entrée du cimetière des chiens, gardée par la sculpture
d’Arnaud Kasper
.
Culée de l’ancien pont de Clichy et ce même portail

A cette époque, les animaux domestiques morts
devaient être portés à l’équarisseur. La loi du 21 juin 1898 va changer les choses en autorisant leur enfouissement. En mai 1899, la Société française anonyme du cimetière pour chiens et autres animaux domestiques est créée par la fondatrice du quotidien La fronde, Marguerite Durand, et le jurisconsulte et publiciste Georges Harmois. Le 15 juin, la société achète au baron de Bosmolet la moitié de l’île des Ravageurs en amont du pont de Clichy pour la somme de 70000 francs. Eugène Petit, célèbre architecte parisien, est chargé du dessin du portail, situé au niveau de la culée de l’ancien pont de Cli-chy, entre les 2 îles sœurs.
L’île des Ravageurs est réunie à Asnières par le comblement du bras de Seine avec les terres de l’île Robinson lors la construction du pont ultramoderne qui réunit la route et le rail du métro sur des arches différentes, à des hauteurs différentes, à l’amont du port Van Gogh. Le pont de Clichy domine le cimetière des chiens, un lieu unique.

Le cimetière des chiens, premier du genre

Grâce à la ténacité de Marguerite Durand, le cimetière des chiens d’Asnières ouvre à la fin de l’été 1899. Il faudra attendre jusqu’à juin 1987 pour que la Commission départementale des Hauts-de-Seine classe le site, compte tenu de son « intérêt à la fois pittoresque, artistique, historique et légendaire ». C’est une ambiance très spéciale, comme on peut se l’imaginer. Une sorte de Père-Lachaise des animaux, toute vanité en moins, quoique la vanité en sous-sol perde beaucoup de son pouvoir. Il n’y a pas que des chiens. On rencontre au fil des allées des chats, des chevaux, des poneys, des moutons, des poules, lapins, oiseaux, poissons, un maki… Parmi eux, des célébrités, comme Rintintin. Celui qui a formé la légende, celui qui a son étoile sur Hollywood boulevard. Après 26 films, il décède dans les bras de l’actrice Jean Harlow. Son maître, le caporal Lee Dun-can qui l’avait recueilli dans un chenil lorrain bombardé, retraverse l’Atlantique pour l’inhumer au cimetière des chiens d’Asnières.

À l’entrée, une petite tombe sobre : celle d’un chien errant venu mourir aux portes du cimetière en 1958, le 40 000e animal à trouver le repos ici, enterré aux frais de la direction. Les épitaphes sont poignantes et éplorées, mais débordantes d’amour : « Tu étais notre beau et gentil compagnon, nous ne t’oublierons jamais », « 13 ans de bonheur », « Pauvre coco », « À ma poupée chérie, ma seule amie ». On ressort triste, mais en pensant à cette phrase d’Anatole France : « Tant qu’on n’a pas aimé un animal, une partie de notre âme reste endormie.»

Le canotage à Asnières

Port Van Gogh. Au fond, le pont de Gennevilliers.

On ne peut pas quitter ces lieu sans évoquer le canotage à cet endroit au XIXe siècle. Asnières, qui s’est rendormi sur ses folles années, fut pendant toute une période un rendez-vous incontournable pour une population parisienne éprise de plaisirs et de distractions. Jeunes gens, artistes, demi-mondaines, désoeuvrés, financiers en quête de récréations viennent canoter et s’amuser. Depuis 1838 la gare est ouverte à Asnières. Les Parisiens affluent, pour respirer l’air frais de la banlieue. C’est la Côte fleurie à quelques minutes de la capitale. Le parc du château, pas très loin de la gare, proche de l’eau, est célèbre pour ses fêtes, ses bals, comme le bal des canotiers.

Des repas y sont organisés, réunissant plusieurs milliers de participants. Sur le fleuve, le canotage connaît un essor inouï, et on organise des régates qui attirent une foule toujours plus nombreuse. Comme c’est la mode en Angleterre, c’est aussi le début des clubs nautiques en France, du Paris Roing-club, et, grâce au travaux de canalisation de la Seine qui engendrent une eau plus calme, les débuts de la voile de rivière de plaisance. Celle-ci offre des divertissements dont la société bourgeoise est friande, et on rencontre sur l’eau des célébrités comme Alexandre Dumas, Maupassant, Théophile Gautier, les peintres Monet, Meissonier, Caillebotte, et beaucoup d’autres. C’est un phénomène de mode, le reste suit : chantiers navals, guinguettes…

Parc du château d’Asnières.

Le « pénomène » va cependant péricliter avec la chute du Second Empire et la guerre de 1870. Les peintres, tels Monet, Émile Bernard, Seurat, Signac ou Renoir, sont aussi sur les rives. Grâce à eu, on se souvient maintenant de la vie d’avant-hier, et des changements survenus depuis. Van Gogh, avant de partir en Arles, peint beaucoup Asnières, ses ponts, les quais, enthousiasmé par les nouvelles couleurs et la lumière qu’il découvre. Nous sommes en 1886, il suffit de fermer les yeux.

Texte et photos Jean-François Macaigne