Tout près de Redon (Ille-et-Vilaine), sur les voies d’eau de Bretagne, on peut croiser des bateaux inhabituels, construits tout en bois locaux, dans le respect de l’environnement, des traditions et avec une belle économie de moyens ! Des bateaux aménagés au plus simple, pour un maxi plaisir, en phase avec la nature !
Lorsque j’avais traversé le pont de St-Congard (Morbihan), à St-Martin-sur-Oust, au début de l’été 2020, je n’avais pas pris la peine de m’arrêter. À quoi bon m’attarder sur les hangars d’une scierie et son habituel parc à bois sillonné de chariots de manutention ? J’avais à faire : visiter et référencer les cales de mise à l’eau de la région ! Plus tard dans la journée, au ponton de Glénac (cale 3 étoiles, pente de 10 %…), un beau bateau bois m’a intrigué. J’ai noté les coordonnées affichées sur la paroi et terminé mon reportage. De retour au bureau, une recherche sur le web m’a permis de faire le lien entre le bois de la scierie et le bateau ! Il ne me restait pas d’autre choix que de retourner sur place rencontrer les hommes qui transforment les arbres en bateaux !
La scierie Année a été créée en 1932. Quatre générations plus tard, les arrière-petits-fils du fondateur dirigent une maison qui a prospéré mais a aussi connu des aléas. En 2010, l’un des magasins de vente brûle, mettant toute l’entreprise en péril. Aux difficultés financières s’est aouté, peu après, le décès brutal du père de famille, obligeant ses fils à prendre la suite dans l’urgence. Pour s’adapter aux évolutions du marché et remonter la pente financière, la scierie a choisi de proposer de nouveaux produits : aux traditionnels bois d’œuvre et autres palettes sont venus s’ajouter des bacs à fleurs, potagers carrés, lames de clôture, pergolas ou encore des abris de jardin.
Cette activité a le mérite de limiter le gâchis par une meilleure utilisation des chutes, mais aussi de toucher un plus large public grâce à la vente par Internet. La scierie Année ne travaille que des bois de pays, et surtout des résineux, pin maritime et Douglas en particulier. À la recherche de dérivatifs pendant les périodes difficiles, Nicolas Année, l’aîné de la fratrie, achète un Boum 415 pour partir se ressourcer sur l’eau. À bord de ce petit tractable, il se prend d’amour pour les richesses nautiques de cette partie de Bretagne. Il faut dire que des voies d’eau variées s’entremêlent ici !
La découverte se mue en passion, que Nicolas alimente en lisant le bel ouvrage de Jacques Guillet sur la Batellerie bretonne. On y trouve, entre autres, les relevés de plan des pénettes, des bateaux de charge locaux, constitués de 2 embarcations réunies par leur tableau arrière pour n’en former qu’une seule. Un attelage que l’on pouvait désaccoupler au besoin pour les demi-tours dans les lieux étroits. On peut aussi y voir le dessin des cahotiers, bateaux à levée (leur permettant d’accoster face à la rive pour décharger plus facilement) qui assuraient le transport de pierre sur la Vilaine et tiennent leur nom des carrières de Cahot, un village riverain. Séduit par ces bateaux parfaitement adaptés à leur environnement et au mode de construction rustique, Nicolas comprend qu’il dispose, avec la scierie, de la meilleure source de matériaux possible.
Piqué à son tour par le virus, Samuel, son frère cadet, construit Lilcapvio, une toue de 13 m x 3,60 m, pour en faire également sa résidence. Le mode de construction à franc-bord est très simple de mise en œuvre et tire le meilleur parti des matériaux disponibles : bois résineux pour l’essentiel, hormis la membrure en chêne. Tout est rustique (c’est-à-dire fonctionnel), de la structure aux finitions. Les circuits d’eau et d’électricité sont minimalistes. Le chauffage est confié à un poèle à bois, et la partie sanitaire est constituée de toilettes sèches. Pour ces 2 usages, copeaux et chutes de bois ne manquent pas ! Des bateaux rustiques, efficaces et qui permettent un mode de vie proche de la nature.
Le Mortier de Glénac, classé Natura 2000, est au cœur d’une bien jolie conjonction de voies d’eau ! Un espace aquatique formé par la confluence de l’Aff avec l’Oust, qui lui-même sert de colonne vertébrale au canal de Nantes à Brest, avant qu’il ne croise la Vilaine à Redon… Il est rare de trouver une telle diversité dans un rayon d’à peine une quinzaine de kilomètres ! La Gacilly d’abord, “petite cité de caractère”, avec ses rues pavées bordées d’artisans. De là, on suit le cours de l’Aff qui serpente sous la voûte d’arbres avant de se perdre parmi les roseaux du Mortier à Glénac. Après avoir goûté les lumières du levant, les cygnes nous guident d’une balise à l’autre jusqu’aux falaises de l’île aux Pies. Varappe, accrobranche ou V.T.T… On suit ensuite le canal jusqu’au port de Redon, où l’escale est partagée avec les voiliers puisque la hauteur des ponts leur permet de venir mâtés jusqu’ici. Tout un programme !
L’aspiration au confort est un défaut humain… Un peu à l’étroit dans ses 12 m², Nicolas a entrepris pour lui-même la construction d’un cahotier cabané de 17 m x 3,60 m. Ce bateau, désormais terminé, était en cours de finition lors de notre visite : le doublage alors inachevé nous a permis d’apprécier à sa juste valeur le bien-fondé des choix de matériaux et de leur mise en œuvre. Le bardage, vissé inox, est en clins de pin Douglas sur parevapeur ; l’isolation est faite de liège, tandis que l’étanchéité de la toiture est assurée par une feuille de caoutchouc à base de pneus recyclés. Pour rester fidèles aux bois locaux, les panneaux de contreplaqué des cloisons intérieures sont de peuplier (et non d’okoumé). En visitant le bateau en chantier, on est frappé par la simplicité des choix techniques qui vont jusqu’à éviter toute quincaillerie superflue.
Ainsi les portes coulissent dans une rainure, sur des roulements à bille de récupération. Simple ne veut pas dire au rabais : l’ensemble de l’accastillage de pont est en inox et le profil des bois extérieurs est arrondi pour éviter que l’eau ne stagne. Ce goût de construire et d’expérimenter différentes formes et tailles de bateaux se devait de trouver un exutoire. Des bateaux de location à la journée voient ainsi le jour. La ligne des coques reste similaire, mais chaque bateau est différent. La plupart des modèles sont couverts pour s’abriter du soleil ou des intempéries. Les bateaux sont disponibles sur réservation à partir de St-Congard, Glénac ou La Gacilly. Cette souplesse d’organisation offre de naviguer aussi bien sur le canal de Nantes 0 Brest, l’Oust ou encore l’Aff. La propulsion électrique était une évidence pour Nicolas ! Depuis ses débuts sur l’eau, il s’est procuré la plupart des modèles horsbord du marché, les marques réputées comme les “chinoiseries”. Sans a priori, il les a tous démontés et testés. Il a comparé leur qualité de construction. Le résultat ? On peut juste constater que la plupart des bateaux en location sont mus par des moteurs de marque Epropulsion à batterie intégrée, sauf un, motorisé par un Haswing, dont Bretagne bateaux bois (B.B.B.) est d’ailleurs récemment devenu distributeur.
Le Mortier de Glénac est un site naturel exceptionnel. On peut y passer des heures magiques à observer les oiseaux d’eau, surtout quand les couleurs de l’automne s’en mêlent. Pour cet usage, les frères Année ont construit Les arches, une pénette cabanée sur une coque de seulement 4,90 m x 2,40 m, qui permet de se poser au cœur des roseaux le temps d’un affût photo ou d’une soirée loin de la civilisation. Une sorte de cabane de trappeur flottante ! La belle plage avant ouvre sur un habitacle aussi sympa et chaleureux qu’il est rustique et dépouillé ! Deux banquettes en lattes de bois portent les matelas. La table est une rondelle de bois. Le meuble cuisine est constitué de 2 casiers. Et un réchaud portatif vient compléter le poèle à bois. Difficile de faire plus simple ! Les locataires apprécient tant ce côté minimaliste, que Nicolas et Samuel ont choisi de produire ce bateau en petite série. Grâce aux remarques recueillies, le dessin va évoluer : sur les prochains exemplaires, les banquettes pourront se convertir en lit double, et la cloison avant devrait être avancée pour permettre d’installer un petit coin toilettes (sèches, bien sûr !). Implanter un espace aussi “vaste” sur une si petite coque a été rendu possible par l’absence de poste de pilotage, remplacé par une télécommande qui agit sur le moteur électrique Haswing, placé en puits.
Le moteur Haswing Cayman est originellement destiné aux “bass-boats”, ces bateaux de pêche sportive équipés d’un moteur thermique de propulsion et d’un second, électrique, à l’avant. Ce moteur additionnel permet au pêcheur de compenser la dérive et de maintenir le bateau à l’emplacement voulu, le plus souvent à l’aide d’un pédalier. Ici, on interagit avec le moteur à l’aide d’une télécommande, que l’on porte en sautoir.
Cette dernière permet de lancer le moteur, de régler la puissance, et donc la vitesse, par incréments de 100 W, ce qui est très progressif. La direction se fait en agissant sur 2 autres touches, le retournement à 180 ° assurant la marche arrière. Une touche “panique” permet de tout couper et de reprendre ensuite à la vitesse et dans la direction précédant l’interruption. C’est à la fois ludique, efficace et très facile ! Quel confort, par exemple, de piloter de l’extérieur ou de maintenir l’avant face à la rive pendant que l’on débarque avec une amarre ! Seule la direction, qui agit par tranches d’environ 10 °, est un peu vive ! Un défaut qui ne semble pas très compliqué à corriger. Bretagne bateaux bois, désormais revendeur de la marque, n’a pas manqué de faire remonter la remarque au constructeur.
C’est à l’occasion d’une belle descente de l’Aff, de La Gacilly à Glénac, que j’ai pu apprécier l’agrément de ce bateau et de son mode de propulsion. La coque est très stable, ses mouvements sont doux. Malgré sa taille modeste, on n’est nulle part à l’étroit à bord et on peut se déplacer sans précaution particulière. Après un temps d’adaptation, il s’avère que le pilotage du moteur (un modèle Cayman) grâce à une télécommande est plein de promesses ! Quel plaisir de pouvoir piloter depuis où l’on veut à bord : à l’extérieur le temps d’une photo, avant de rentrer se réchauffer au coin du poêle…
Bien sûr, les mouvements de la direction sont un peu amples et obligent à beaucoup corriger, d’autant qu’avec son fond plat le bateau “savonne” pas mal. Il n’empêche que l’accostage se fait amarre en main et au millimètre ! Les 4 batteries de 170 Ah en 24 V offrent une autonomie de 11 h au régime de croisière et de 6 h en utilisant la pleine puissance. Disons-le tout net, j’ai été séduit par ce petit bateau qui offre juste le nécessaire pour des séjours nature. Certes, un tel dénuement ne conviendra pas à tous les publics, mais c’est la loi du genre et la rançon de l’authenticité !
Tel qu’il est, ce bateau, comme les autres productions du chantier, est parfaitement adapté à son programme : offrir un mode de navigation doux et respectueux de l’environnement. De plus, il est construit sur place, avec des matériaux locaux, selon des méthodes traditionnelles. Que demander de plus ? Il semble prématuré de percevoir une politique commerciale affirmée chez B.B.B., mais à quoi bon vouloir d’emblée borner trop étroitement une activité aussi vivante et attrayante ? Les 1ers bateaux ont été construits à l’unité, souvent pour des usages privés. Même si une petite série de pénettes est prévue, il y a fort à parier que l’essentiel de l’activité de B.B.B. s’appuiera sur de nouvelles idées, portées par des matériaux et des modes de construction traditionnels. Les frères Année disposent pour cela de l’atelier au bord de l’eau, de tous les matériaux voulus et du savoir-faire pour les mettre en œuvre. Si vous passez par là, prenez le temps de vous arrêter respirer le parfum des résineux au bord de l’Oust. Les bois de votre futur toit flottant pourraient bien être déjà en train de sécher sur le parc de la scierie !
Texte et photos Olivier Chauvin